mercredi 26 janvier 2011

La graisse d’ours

Denrée rare, la graisse d’ours, ou plutôt l’huile d’ours est créditée de multiples vertus.
Censée guérir de tous les maux et renforcer les défenses naturelles, elle est consommée par tous, et à chaque fois avec la grimace ! (Pour ceux auxquels cela rappelle de bons souvenirs d’une huile miraculeuse !).



Pur produit de la chasse, qui plus est tirée du plus noble des gibiers, ce n’est pas le premier venu qui s’essaiera à la transformation du gras en huile.
Mais ne me demandez pas le processus de fabrication, cela reste un secret jalousement gardé. L’huile ne quitte le village que pour accompagner un membre de la famille venu pour les vacances. Autant dire que cette boisson (!) est plus précieuse qu’une fourrure de zibeline !

Le poêle russe

Toutes les maisons individuelles en Russie possèdent un poêle. Traditionnellement (si je puis me permettre), celui-ci est en briques réfractaires. Imposant, il est au centre de l’habitation. Les pièces sont organisées autour. On entre dans ces maisons par la cuisine, où il trône. En général la chambre à coucher jouxte cette pièce de vie, puis derrière, par ordre décroissant de température, se trouvent le salon, qui fait également office de chambre des enfants, puis la chambre des invités. Pour correctement répandre la chaleur, les murs sont en bois, et de préférence ne montent pas jusqu’au plafond. L’intimité est de fait restreinte, mais nous ne sommes pas non plus dans un tchoum nenetse (tipi). J’ai passé quelques jours dans une maison où les murs étaient en brique et ai pu constater la différence de température !



Chez mes hôtes de Suranach, le poêle faisait également office de four à pain (comme on peut le voir sur la photo). Étant arrivés en nombre pour les vacances, les fournées ont été fréquentes, bien que chacune soit constituée d’une douzaine de pains d’un kilo. Ainsi, nous avions souvent du pain frais, et il est de bon ton de ne pas le couper au couteau lorsqu’il est encore chaud. A l’heure du thé, au moment du repas, ou n’importe quand, qu’il est bon de rompre ce pain et de le tremper dans la délicieuse confiture !
Les pots de confitures préparées à partir des baies récoltées en automne font eux aussi plus d’un kilo, et sur la table un plein bol se vide et se remplit en continu. Ici, il est important de manger, on le fait donc à tout moment de la journée, et en grande quantité !
Lorsque c'était jour de fournée, nous avions droit le matin aux lépiochka, galettes frites, ou aux béliachis, beignets à la viande hachée frits eux aussi. Gras, consistants, savoureux, difficile de s'arrêter !

En général, le matin, lors de la première flambée de la journée, on réchauffe la soupe de la veille. Plus tard dans la journée, une nouvelle casserole de soupe est préparée, ou alors on fait des pilminis (raviolis sibériens): on passe des quartiers de viande au hachoir à manivelle (ça fait les bras!), la pâte qui était mise à reposer est roulée en boudins. On les coupe en petits morceaux, qui sont rapidement passés au rouleau à pâtisserie. Puis chacun autour de la table s'apprête à les remplir avec soin d'une bonne fourchette du mélange de viande hachée, de gras et d'oignon. Ensuite, il faut bien entendu refermer le ravioli, ce qui exige un tour de main technique ET esthétique ! Si cela paraît simple et joli à première vue, c'est bien entendu parce que je ne vous montre pas les pilminis que j'ai moi-même fait.



Le résultat est ainsi obtenu possède son quota de calories nécessaires
à la survie par grand froid. Mais le sibérien ne se lassera jamais de répéter : "On ne peut pas ne pas manger de viande en Sibérie !"

Nouvel an dans la taïga

Pour fêter le passage à la nouvelle année, j’ai été invité à me rendre dans un village situé au nord de la République, Suranach. Une vingtaine d’habitants Tchelkanes peuple ce village formé d’une douzaine de maisons. En hiver, un étroit sentier court d'un bout à l'autre du village et relie entre elles ces maisons. Impossible de ne pas l'emprunter, impossible d'éviter une rencontre, impossible de se déplacer à l'insu de tout un chacun. Les yeux sont partout et les langues vont bon train. Ainsi, comme il est visible sur la photo, je bénéficiait d'un excellent poste d'observation sur les allées et venues des habitants depuis la maison de mes hôtes.



L’intérêt de se rendre à Suranach, outre la rencontre avec des représentants des populations de l’Altaï du Nord, réside dans le fait qu’il n’y a pas de route pour s'y rendre. Situé sur le flanc Nord de la rivière Lebed (cygne), ce petit havre de tranquillité est en effet coupé du monde depuis la fin de l’époque soviétique.
Jusqu’en 1991, un hélicoptère parti du chef lieu de district, à 100 km, desservait quotidiennement le village. La nostalgie de ce moyen de transport bon marché et reliant les hommes est on ne peut plus palpable. Car une fois le changement de régime effectué, la vie s’est pratiquement arrêtée : n’étant pas relié au réseau électrique, Suranach tirait son énergie d’un groupe électrogène. Mais le fioul n’étant plus livré, il a fallu se résoudre à vivre sans électricité. 15 ans sont passés, durant lesquels la lumière était fournie par les lampes à pétrole, et suite à la visite d’un politicien en campagne il y a 5 ans, on a pu remettre en route le moteur.
En été et en automne, il est possible de se rendre au village depuis le chef-lieu de district en bateau à moteur en remontant la rivière. L’hiver, un tracteur à chenilles trace une route depuis le dernier village accessible (à 25km) à travers les étangs gelés, la forêt et le mètre cinquante de neige fraîche qui recouvre la végétation. La route prendra fin à deux kilomètres du village, sur la berge de la rivière. Chaque année, le scénario se répète, une question brûle toutes les lèvres : le tracteur franchira-t-il la rivière gelée ? Chaque année, on espère, de jour en jour, voir arriver le tracteur au village, ce qui épargnerait d’atteler les chevaux aux traîneaux pour aller accueillir les visiteurs, chercher les denrées à ramener au "magasin".
Mais au printemps, lors de la débâcle qui dure plus d’un mois, aucune communication avec l’extérieur n’est possible : la rivière charrie d’énormes blocs de glace, les étangs dégèlent, même un cheval ne peut se mouvoir dans la taïga à cette époque. Le paysage qui l’hiver offrait une vue de carte postale se transforme en un véritable bourbier (c’est du moins ce que l’on m’en a dit, mais cela ressemble fortement au reste de la Sibérie au même moment, lorsque les immenses fleuves débordent…).
Suranach donc, où l’on parvient à se rendre, mais dont on ne sait ni quand ni comment le quitter.




Suranach encore, où à ma grande surprise le russe fait office de langue vernaculaire, davantage encore que le tchelkane. Suranach, enfin, où la riche taïga, avec ses ours, ses loups, ses zibelines, commence au bout du jardin, juste derrière la barrière du potager.