mercredi 22 décembre 2010

On ne badine pas avec l’épopée

Il y a de cela un mois, je partais pour Iabogan, petit village du district de-Oust-Kan, dans lequel se déroulait une rencontre autour de l’épopée de Maadaï-Kara. Dans ce village vivait l’un des derniers grands kaïtchi, Alekseï Grigorievitch Kalkin, auprès duquel cette épopée avait été maintes fois enregistrée à l’époque soviétique. Notons au passage que ce texte contient plus de 7000 vers et que toutes les versions recueillies (en plusieurs jours) auprès du conteur sont pratiquement identiques l’une à l’autre !
Après une matinée passée à discuter de l’héritage de ce grand homme, un concours était organisé entre les jeunes héritiers de cette tradition de récitation épique. En Altaï, ainsi que dans de nombreuses régions du monde où cette tradition est encore d’actualité (Mongolie, Kirghizistan…), on ne chante pas un extrait d’épopée impunément : le texte est censé appeler les esprits, les faire intervenir pour une bonne raison, car on ne les appelle pas impunément. En outre, de nombreuses règles sont à respecter sous peine de sanction de ces mêmes entités, ce qui ne facilite pas la tâche du conteur.
Mais la plus impressionnante de ces règles, la plus accessible également à celui qui ne maîtrise pas la langue, car elle saute aux oreilles, est l’emploi du chant de gorge. Je suppose que vous avez déjà entendu parler de ce type de chant, et si ce n’est pas le cas, je vous invite à écouter sur internet un extrait par Alekseï Kalkin :
http://altayim.narod.ru/Khai.mp3

Cette technique, dont l’apprentissage requiert de nombreuses années, est interdite aux femmes (je ne développerai pas ce point, mais entrent en ligne de compte une certaine misogynie, des croyances liées à la fertilité…). Elle est déconseillée aux enfants, et aux adolescents avant la mue de leur voix. Toutefois, j’ai pu lors de cette rencontre, observer et apprécier l’impressionnant talent de très jeunes enfants : âgés de moins de 10 ans, ils possèdent une voix profonde et rugueuse prometteuse. Je ne parle pas non plus de la manière dont ils sont capables de réciter une centaine de vers de l’épopée !
L’épopée obéissait autrefois à un système de transmission patrilinéaire, c’est-à-dire que devenait à son tour chanteur épique le fils ou le petit-fils du conteur. Les textes étaient appris par l’enfant lors des séances de récitation, mais il était également possible pour les conteurs « à maître », que l’esprit qui sanctionne ce type de pratique les lui transmette en rêve. Aujourd’hui, tout cela aurait changé…

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