mercredi 26 janvier 2011

Nouvel an dans la taïga

Pour fêter le passage à la nouvelle année, j’ai été invité à me rendre dans un village situé au nord de la République, Suranach. Une vingtaine d’habitants Tchelkanes peuple ce village formé d’une douzaine de maisons. En hiver, un étroit sentier court d'un bout à l'autre du village et relie entre elles ces maisons. Impossible de ne pas l'emprunter, impossible d'éviter une rencontre, impossible de se déplacer à l'insu de tout un chacun. Les yeux sont partout et les langues vont bon train. Ainsi, comme il est visible sur la photo, je bénéficiait d'un excellent poste d'observation sur les allées et venues des habitants depuis la maison de mes hôtes.



L’intérêt de se rendre à Suranach, outre la rencontre avec des représentants des populations de l’Altaï du Nord, réside dans le fait qu’il n’y a pas de route pour s'y rendre. Situé sur le flanc Nord de la rivière Lebed (cygne), ce petit havre de tranquillité est en effet coupé du monde depuis la fin de l’époque soviétique.
Jusqu’en 1991, un hélicoptère parti du chef lieu de district, à 100 km, desservait quotidiennement le village. La nostalgie de ce moyen de transport bon marché et reliant les hommes est on ne peut plus palpable. Car une fois le changement de régime effectué, la vie s’est pratiquement arrêtée : n’étant pas relié au réseau électrique, Suranach tirait son énergie d’un groupe électrogène. Mais le fioul n’étant plus livré, il a fallu se résoudre à vivre sans électricité. 15 ans sont passés, durant lesquels la lumière était fournie par les lampes à pétrole, et suite à la visite d’un politicien en campagne il y a 5 ans, on a pu remettre en route le moteur.
En été et en automne, il est possible de se rendre au village depuis le chef-lieu de district en bateau à moteur en remontant la rivière. L’hiver, un tracteur à chenilles trace une route depuis le dernier village accessible (à 25km) à travers les étangs gelés, la forêt et le mètre cinquante de neige fraîche qui recouvre la végétation. La route prendra fin à deux kilomètres du village, sur la berge de la rivière. Chaque année, le scénario se répète, une question brûle toutes les lèvres : le tracteur franchira-t-il la rivière gelée ? Chaque année, on espère, de jour en jour, voir arriver le tracteur au village, ce qui épargnerait d’atteler les chevaux aux traîneaux pour aller accueillir les visiteurs, chercher les denrées à ramener au "magasin".
Mais au printemps, lors de la débâcle qui dure plus d’un mois, aucune communication avec l’extérieur n’est possible : la rivière charrie d’énormes blocs de glace, les étangs dégèlent, même un cheval ne peut se mouvoir dans la taïga à cette époque. Le paysage qui l’hiver offrait une vue de carte postale se transforme en un véritable bourbier (c’est du moins ce que l’on m’en a dit, mais cela ressemble fortement au reste de la Sibérie au même moment, lorsque les immenses fleuves débordent…).
Suranach donc, où l’on parvient à se rendre, mais dont on ne sait ni quand ni comment le quitter.




Suranach encore, où à ma grande surprise le russe fait office de langue vernaculaire, davantage encore que le tchelkane. Suranach, enfin, où la riche taïga, avec ses ours, ses loups, ses zibelines, commence au bout du jardin, juste derrière la barrière du potager.

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